Le macchabée de Rivaz

Sandrine

06.00 en cette mi-octobre. Sandrine aura une journée chargée. Elle décide de vite faire un petit jogging pour se mettre en forme. Sandrine attache ses cheveux, enfile ses baskets, hésite à prendre son téléphone puis finalement renonce. Elle se donne juste un quart d’heure pour se mettre en forme. Il fait encore sombre mais elle connait bien le chemin le long du lac et ses passages entre les rochers. Elle peut sortir en training. Une grande aspiration d’air encore frais et hop elle se lance.

Pierre

Hier il a repéré aux jumelles une sorte de terrier dans une allée de sa vigne qui domine le lac. Trop tard pour y jeter un œil, la femme a préparé le repas. Il rentre. Mais au petit matin il y va. D’ailleurs cette parcelle face au lac, en amont de la route cantonale offre un panorama exceptionnel. Il part tôt pour être sûr d’assister au lever du soleil.

André

Pour éviter le gros du trafic en direction de Lausanne, André s’est levé aux aurores. La météo annonce une belle journée. Il pense travailler en continu pour rentrer tôt et jouir de ce bord de lac qu’il aime tant.

Un cri! ‘

Non, un hurlement! Quelque chose d’horrible, qui dénote une terreur. Du haut de sa vigne, Pierre distingue une silhouette qui grimpe, ou plutôt qui semble voler sur les rochers en direction de la route. Une voix de femme. Elle hurle encore. De là où il est et dans la pénombre, il peut, au loin distinguer sa silhouette mais ne peut pas se pencher sur la route pour voir où va cette femme en criant. Probablement qu’elle a vu un serpent se dit-il, enfin, une couleuvre, il y en a par là. En tous les cas, elle semblait bien paniquée. Il n’entend plus rien et continue sa promenade dans une vigne encore tout en beauté avec ses feuilles chamarrées.

L’arrêt

Heureusement qu’André connait la propension de la police locale à cacher des radars dans le coin. Il roule à 50 km h lorsqu’il voit se dresser, face à ses phares, au milieu de la chaussée, la silhouette d’une jeune femme qui semble vouloir se jeter sur son capot. Il se méfie et verrouille aussitôt ses portières, s’arrête et entrouvre le haut de la fenêtre côté passager. La jeune femme est en larmes, tremblante et visiblement effrayée. Je peux vous aider? Oui, s’il vous plait, police, police. Elle hoquette. Il déverrouille. Assise à côté d’André, Sandrine a des hauts le corps, des soubresauts et fait des gestes comme si elle voulait effacer quelque chose devant elle, puis met ses mains sur son visage. Quelqu’un vous a agressée? Vous êtes poursuivie. Sandrine hoquette, elle a de la peine à se ressaisir. André n’a qu’une idée, vite la larguer avant qu’elle ne vomisse dans sa voiture. Vous avez mal quelque part? Elle fait signe que non de la tête mais garde une main devant sa bouche ce qui inquiète beaucoup André qui chérit sa voiture comme un bijou. La route jusqu’au poste n’est pas très longue et Sandrine semble se calmer. A peine a-t-il arrêté la voiture qu’elle en sort comme une bombe et se précipite au poste. Un agent qui justement sortait du poste se fait bousculer. Elle gesticule. Essaye de parler. Là, là-bas, sur les roches…. Sandrine s’évanouit.

L’agent

Venez m’aider, il y a ici une femme, complètement excitée ou peut-être en panique ou en manque. Elle est entrée comme une folle m’a bousculé, a crié là-bas puis s’est évanouie. On la couche dans une cellule de dégrisement.

André

André entre. Excusez-moi, je ne sais pas qui est cette femme, elle s’est plantée devant mon véhicule, m’a demandé de la conduire chez vous mais n’a pas pu me dire ce qui se passe. Elle était seule. Je n’ai vu personne la poursuivre. Elle avait envie de vomir et pleurait beaucoup. Je me suis arrêté face à votre porte, elle a bondi dehors. Alors j’ai garé et je viens vous expliquer comment elle est là.

Evanouissement

Une agente ressort, rassure, elle reprend doucement ses esprits mais semble en état de choc. Apparemment pas de signe de lutte. Je ne la connais pas et elle n’a rien sur elle. Ni papiers, ni téléphone, pas même de la monnaie. Apparemment elle est équipée pour un jogging. Il est 06.30 et de nouveaux agents arrivent et jettent un coup d’œil dans la cabine.

Stéphane

Oh, salut Sandrine, qu’est-ce qui t’arrive? Qu’est-ce que tu fais là? Tu es tombée? Informé de la situation, Stéphane décline son identité. Ils se connaissent depuis l’école. Il s’assied près d’elle ce qui semble la rassurer et lui redonner des couleurs. On l’aide à s’asseoir, et après un verre d’eau elle se remet à pleurer. André s’en va. Il est à disposition au cas où. Sandrine s’accroche au bras de Stéphane et lance: Il est horrible. Les yeux grands ouverts. La bouche aussi. Il faisait nuit je ne voyais que ses yeux et du sang. Du sang partout. J’ai peur, que faisait ce macchabée sur les roches à Rivaz ? Et pourquoi avait les yeux grands ouverts comme dans une panique terrible.  Stéphane lui tend  un mouchoir. Tu le connais Sandrine? Non, je venais de sortir, ce n’est pas très loin de chez moi, je ne connais pas cet homme, je ne crois pas, mais je ne sais pas. Il était là, sur mon chemin, je voyais bien qu’il était mort. Là, tout près de chez moi. Sa bouche était ouverte comme s’il voulait crier.

La patrouille

Une patrouille décide d’aller sur place.  Sandrine tu nous indiqueras le lieu mais tu resteras à l’écart. N’aie pas peur. Si comme tu dis il est mort, il ne te fera de toutes façons pas de mal. Arrivés au lieu indiqué, rien! Le jour n’est pas encore complètement levé et les hommes avancent sur le chemin mais aucune trace d’humain mort ou vif. Mais si, crie Sandrine, il était là, exactement où vous êtes.

Il n’y a personne Sandrine, viens voir toi-même. Elle s’approche et un agent remarque que des pierres semblent avoir été déplacées. Le jour se lève doucement et, sous les pierres, les hommes constatent une flaque de sang. Les agents font des photos. L’un d’eux reste en faction tandis que les autres reconduisent Sandrine chez elle et vont chercher la police scientifique. Stéphane reste un peu auprès de Sandrine de plus n plus choquée. Il appelle son employeur pour annoncer son absence.

Sandrine

Je ne veux pas, je ne peux pas rester ici Stéphane. Je l’ai vu cet homme mort. Comment a-t-il pu s’envoler? Quelqu’un l’a tué? Si quelqu’un l’a tué, il était là, tout près, il pouvait me tuer aussi. Il va peut-être venir ici. J’ai peur Stéphane il faut me conduire loin d’ici, chez ma mère. Je l’ai vu moi cet homme. Il était en costume. Mais Sandrine ne peut pas le décrire mieux. Elle pense avoir vu une plaie au niveau du cou mais n’est sûre de rien. Pour elle la scène d’horreur a duré quelques secondes seulement. Le temps de voir une forme, un corps dont elle ne sait dire ni sur l’âge, ni la corpulence. Ce qui lui est resté, ce sont ces grands yeux ouverts et remplis d’effroi. Une bouche ouverte comme pour crier et du sang par terre. Elle pleure à nouveau.

Stéphane essaie. Tu n’as pas vu de barque, de bateau à moteur, entendu du bruit ou tourner un moteur? Sandrine ne se souvient de rien. Elle a livré tout ce qu’elle avait. Elle pleure et tremble. Va faire une valise, nous te conduirons chez ta mère et bouclerons ton appartement.

L’enquête

Elle piétine. Pas de disparition signalée. Pas de correspondance d’ADN entre les registres de la police et le sang trouvé sur place. Aucun bateau loué la veille, dans aucun des ports du Léman quelle que soit la rive. Aucun cadavre, les hommes grenouille n’ont rien trouvé. Pas de trace montrant qu’un corps aurait pu être trainé comme si un géant l’avait soulevé pour l’emporter comme un fétu de paille. Quelques traces de semelles légères ont été relevées. Sans doute des baskets comme tout le monde en porte. Le voisinage éloigné n’a rien vu non plus. Sauf Pierre qui du haut de sa vigne a entendu les cris de Sandrine mais ne s’en est pas autrement ému. Lui non plus n’a rien vu d’anormal ni rien entendu. Les habitants informés parlent d’extraterrestres.

Sandrine

Même après plusieurs consultations chez un psy et un traitement médicamenteux, Sandrine n’arrive pas à se remettre du choc de cette rencontre. Elle a peur. Toujours peur. La police est revenue plusieurs fois pour lui demander des détails qu’elle n’a pas été capable de fournir. Elle n’a pas pu reprendre son travail. Les yeux de l’inconnu la hantent. Elle n’est pas retournée à son appartement. Sa sœur et sa mère l’ont vidé et remis. Une année est passée sans que l’enquête n’avance d’un iota sur cet étrange incident. Personne n’a signalé une disparition.

L’inspecteur R.

Chargé de l’enquête, l’inspecteur R se demande s’il ne devra pas la classer lorsqu’un petit article dans le réseau interne attire son attention. Près de Copenhague, un cadavre a été vu par un témoin sur une grève, il semblait avoir un pieu enfoncé dans la gorge mais, le temps d’aviser les secours, le cadavre avait disparu. Seule une flaque de sang humain attestait de la présence de ce possible macchabée. Voilà qui relance l’affaire mais, malgré de nombreux regroupements et la similitude du cas, car au Danemark non plus personne n’a signalé de disparition, l’enquête ne progresse pas. Pas de cadavre, pas de photos à diffuser. Le mystère persiste. Une autre année passe et les deux enquêtes restent au point mort.

Luna

La police zurichoise l’a embarqué alors que, le long des voies de chemin de fer, il hurlait comme un loup ou peut-être un chien torturé. Au départ il n’a pas opposé de résistance mais a continué ses cris bizarres tout en ayant un comportement animal, se mettant à genou sur la banquette arrière de la voiture ou léchant les vitres. La police s’est dirigée vers l’hôpital. Au sortir de la voiture, Luna s’est couché sur le dos, les yeux rivés sur la lune en gesticulant et en hurlant. Une force démentielle l’animait et il a fallu l’aide d’une piqure pour en venir maître. Aucun papier sur lui. Inconnu des forces de l’ordre. Ni ses empreintes, ni son ADN ne donnent de pistes. Lui encore moins. Ses vêtements sont propres. Il semble comprendre l’allemand comme les dialectes mais, de sa bouche ne sortent que des borborygmes. Même pas une langue inconnue. On le transfère en psychiatrie où plusieurs jours durant, il se tient toute la nuit devant la fenêtre comme s’il avait un langage que seule la lune pouvait comprendre. Le psychiatre qui le suit établit un lien fort entre lui et l’astre sans arriver à en déterminer la nature. D’ailleurs, lorsqu’elle se met à décroitre, Luna se calme. Et se met à parler. Peu. Il donne son prénom, mais est-il vrai? et réclame un ordinateur. Il semble bien dominer l’informatique et se rend souvent sur des sites dans différentes langues allant du hongrois au polonais en passant par l’allemand, l’italien, le serbocroate. Il écrit, apparemment bien, dans toutes ces langues. Un surdoué.

Le lieu où il se trouve et les gens autour de lui ne semblent pas l’intéresser. Il mange ce qu’on lui apporte de manière très civilisée. Il ne demande rien. A l’analyse de ses recherches sur le net, les soignants découvrent qu’il recherche des propriétés susceptibles d’intéresser des investisseurs étrangers. Il les répertorie soigneusement, puis, lance des offres à des personnes ciblées en mettant des prix défiant la concurrence ambiante, en insistant sur la qualité de l’investissement. Il propose des rendez-vous mais à 3 semaines ou un mois de distance. Il donne toujours une date précise pour une possible rencontre et une visite des lieux. Luna est hospitalisé depuis 3 semaines, il ne semble pas en tenir compte mais essaye de fixer des rendez-vous à trois mois de distance.

Le vieil homme

Un matin, se présente à la police un vieil homme aussitôt catégorisé dans les originaux. J’habite une caravane située sur un terrain vague. J’ai une autorisation. J’ai loué mon autre caravane à un jeune homme. Il m’a payé une année d’avance mais, je ne le vois plus. La lumière ne s’allume plus. J’ai peur qu’il lui soit arrivé quelque chose mais je n’ose pas y aller. Cet homme me fait peur et s‘il est blessé ou mort, je ne veux pas être mêlé à cette histoire. La police l’accompagne. Personne. Tout est propre, bien rangé. Dans le «salon» un ordinateur. A la première fouille ils ne trouvent pas de papier. Ils les trouveront plus tard, dans une boite contenant également de la dynamite et un déclencheur, le tout bien ficelé sous le plancher de la caravane. Ils emmènent l’ordinateur.

Luna

La Lune a repris sa croissance et à l’hôpital psychiatrique les soignants remarquent une agitation de plus en plus perceptible chez leur patient. Il dort le jour et dès la nuit tombée, surveille la lune. Il pleure parfois. Il parle de mers, de volcans, dit quelque chose qui doit être une déclaration d’amour mais que lui seul comprend. Il tremble. Il transpire. Il vomit parfois mais ne bouge pas de son poste d’observation. Un soir, la voilà presque pleine. Demain sera pleine lune. Luna perd tout contrôle. Il pousse des hurlements, tente de casser la porte mais elle est en métal. Il arrive pourtant, avec une puissance inattendue, à lui faire des bosses avec ses seuls poings. Il soulève son lit comme si c’était un tabouret et le jette contre toute personne qui essaie d’avancer dans sa direction. Sa vitre est blindée, il essaie de la casser avec une chaise. Sans succès. Puis il tombe à genou et parle à la lune. En allemand. Pardonne-moi, je n’arrive pas ce soir. Je reviendrai. Je le promets. Il se rue vers la porte crie dans un allemand très compréhensif: Laissez-moi sortir, j’ai un rendez-vous. C’est très important, c’est vital. Je dois rencontrer quelqu’un, sinon je vais mourir. Il répète plusieurs fois, c’est vital, je dois rencontrer quelqu’un sinon je vais mourir. Sa chambre est un champ de bataille, un infirmier arrive à l’approcher et à lui planter une seringue

Poste de police

L’analyse de l’ordinateur est comme un film d’horreur. Tous les détails sont là. Comment il appâte ses victimes de préférence dans des pays peu développés sur le plan administratif et où des fortunes se font et se défont rapidement. Les jours de pleine lune sont répertoriés ainsi que les noms et le pays de provenance des personnes contactées. Le lieu du sacrifice et son mode opératoire pour kidnapper, emmener ses victimes et les offrir à la lune dans une grande terreur et en plantant un pieu dans le creux de leur cou. Amsterdam, Rivaz, Copenhague, banlieue parisienne, les lieux sont indiqués. Le seul détail manquant est que fait-il ensuite des corps? Mais à l’hôpital on peut comprendre qu’avec sa force décuplée, il ne devait avoir aucun problème à porter ses victimes. Pour les offrir comment et où? Mystère.

Luna

Lorsqu’il se réveille sur le sol de sa chambre il fait jour. Il entre à nouveau en transes. Luna hurle. Son corps tremble, il transpire tellement qu’une flaque entoure son corps. Il déchire l’air de ses bras, de ses jambes. Il regarde par la fenêtre. Il fait soleil. Luna meurt d’un coup, sous les yeux ahuris des soignants attirés par ses cris.

Jamais personne ne saura ce qu’il a fait des corps.

Sandrine

Stéphane lui a rendu visite à l’hôpital psychiatrique où elle séjourne depuis deux ans n’arrivant pas à sortir de sa hantise et de sa peur. Doucement il lui explique l’épilogue de cette histoire. Il omet toutefois le détail du pieu qu’heureusement elle n’a pas eu le temps de distinguer.

Un grand voile se déchire devant Sandrine. Elle a soudain le sentiment d’oser respirer à nouveau. Pour la première fois depuis plus de deux ans elle a envie de chanter, de parler, de sortir. En quelques jours elle est à nouveau sur pieds et rétablie. Mais, il lui faudra bien des années encore pour oublier le macchabée de Rivaz

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