Le jeune homme aux cheveux clairs tient sa tête dans ses mains. Il est assis sur la moleskine d’un hôtel qui, bientôt sera détruit par les bombes. De temps en temps il redresse le menton. Son regard vert se perd alors sur les objets qui encombrent l’endroit, fauteuils, sacs de voyageurs, journaux. Aucun ne retient son attention. D’un air las, il se lève, jette un regard par la fenêtre, revient. Il semble complètement hébété. Il doit avoir 20 ans à peine.
– Où sommes-nous ? me demande-t-il tout à coup en français
– A Beyrouth!
Interloqué par cette réponse, il me regarde sans rien comprendre. Visiblement il n’a pas envie d’y croire.
– A Beyrouth ? Mais depuis combien de temps ?
– Je n’en sais rien moi, je vous vois pour la première fois. Nous sommes le 02 août, il est 10h20 du matin.
Le jeune homme, presqu’encore un enfant, a du mal à réaliser le sens de mes paroles. Il passe sa main devant ses yeux et marmonne toute une suite de paroles, cherchant à se convaincre. « encore à Beyrouth, comment est-ce possible? Et la voiture? Oh là, là, je crois que j’ai trop bu. Qu’est-ce que j’ai fait hier ? Je n’étais pas à Beyrouth… J’ai mal à la tête. Nous sommes mardi? alors l’avion est parti. Jamais je ne pourrai retrouver le troupeau… ».
Relevant la tête, son regard clair s’arrête sur moi et une sorte de cri sort de sa bouche:
– Je crois que j’ai perdu mon troupeau!
A cet instant, tout s’est mis à vasciller autour de moi. J’ai cru être victime d’une hallucination! Là, devant moi, cent ans plus tard, je retrouvais à Beyrouth un Rimbaud cherchant son troupeau. Frappée par la situation, je me suis mise à secouer le jeune homme comme pour le réveiller d’un évanouissement.
– Tu es fou ou quoi? Tu es drogué? Qu’est-ce que tu racontes? De quel troupeau parles-tu? Tu es à Beyrouth, qu’est-ce que tu fais ici et où dois-tu aller?
L’homme enfant s’est mis à bégayer, les larmes affluaient sur son visage.
– Le troupeau, le troupeau de vaches que je dois reprendre pour le conduire vers la frontière! Je devais le prendre mardi. C’est pour cela qu’on m’a fait venir de France. J’ai mal à la tête, j’ai mal au ventre, je ne veux pas rester à Beyrouth, je dois aller au Yemen, je dois aller à l’aéroport, où est l’aéroport? Où est mon sac? Mon billet… mon billet est dans mon sac… j’ai mal partout. Une sorte de panique le saisissait. Fatigué il n’arrivait pas à retrouver ses esprits ni le fil de son voyage.
– Ne t’énerve pas, on va le retrouver ton sac. Veux-tu un café ?
Lorsque je suis revenue avec un café, il avait disparu. Ni le concierge, ni le portier ne le connaissait.
Nina Brissot