Instants volés… Leningrad, aujourd’hui St. Petersbourg

Dans les blanches nuits d’hiver à Leningrad, les insomnies sont courantes. L’heure n’a plus de sens et l’aube comme le crépuscule s’évanouissent dès leur naissance. De la rue, les bruits montent enveloppés d’un silence qui les fait mourir.

Vides, ou parfois chargés de neige, des camions parcourent les larges avenues dans un ballet désordonné et incompréhensible. On les devine à la recherche d’une fonction. Majestueuse, la Neva est immobile, ses flots bloqués dans les glaces. Elle gémit parfois au passage d’un brise-glace qui laisse derrière lui une large cicatrice noire.

Il ne fait ni jour, ni nuit. Chaque instant est irréel, agréable et inquiétant. Une activité réduite règne dans la rue à toutes les heures de ces interminables nuits. Des éboueurs passent. Des chasses-neige traînent. Des taxis se croisent. Quelques passants, fort emmitouflés et dissimulés sous leur chapka marchent rapidement. Ils ne se parlent pas. Des gens entrent et sortent de l’hôtel, des paquets changent de mains, de destination… Le marché noir passe par les couloirs, par les cuisines, les bars et quelques salons sombres où, des gestes rapides, ne sont pas toujours interceptés par les guetteurs délateurs.

Dans la rue, un homme chante à tue-tête. Il longe les berges de la Neva lorgnant vers l’avenue. Probablement est-il a la recherche d’une âme avec laquelle échanger un peu du vague de la sienne. Avisant un banc qui émerge de la neige, il s’y installe. Lentement, sa main gantée disparaît sous son manteau et se promène dans une pénible quête. Enfin, gauchement, il dégage un flacon dont il retire le bouchon avec ses dents. Puis, vissant le goulot à sa bouche, il s’étend sur le banc pour téter de longues rasades qui le réchauffe. Content, il reprend sa chanson.

A quelques mètres de là, un homme en uniforme approche. Au bruit de ses bottes sur la neige, le clochard se relève. D’un seul geste, il plonge une main dans sa poche, saisit un objet, vise et lance. Frappé de plein fouet, l’homme aux longues bottes porte ses mains à son visage, titube un peu puis s’en retourne. Sous ses doigts, son front saigne. L’homme jure et crie de douleur. Sur son banc, fier de son coup, l’ivrogne rit aux larmes. Les blanches nuits de Leningrad sont propices aux insomnies.

Nina Brissot

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