Ils sont de probables braves gens ce couple de paysans qui, dans leur Périgord natal, ouvrent une table d’hôtes et un pré pour le cheval aux randonneurs.
Ces étapes de « roulottiers » acceptées chaque semaine dans leur ferme leur apporte un dépaysement qu’ils n’auraient jamais connu sans cette proposition du syndicat d’initiative.
Pendant que Madame achève la préparation d’un repas élaboré, Monsieur propose le tour du propriétaire. Moutons, vaches, cochons, couvées et récoltes. Le domaine est important et le paysan en est, à juste titre très fier. Affable et curieux, il pose moultes questions, expose les problèmes de la région puis nous invite à passer à table.
Sur le chemin de la maison, nous croisons son fils. Une vingtaine d’années boutonneuses se lit sur un visage obtus. Sournois, sale, la démarche lente, il garde tête baissée, comme s’il devait cacher une tare. Sur l’ordre de son père, il nous tend une main molle qu’il retire aussitôt en regardant ailleurs. A table, sa place reste vide. D’un ton désolé, sa mère explique qu’il a rejoint sa chambre à l’étage supérieur en grimpant par la fenêtre, pour n’avoir pas a traverser la salle à manger. « Il doit se reposer, demain nous tuons le cochon » ajoute-t-elle.
Le lendemain matin, des cris horribles nous ont réveillé. Des cris inhumains, continus, longs, insupportables. Le temps de sauter hors du lit, d’harnacher le cheval, de recharger la roulotte, de traverser le pré, tout cela a bien pris vingt-cinq longues minutes pendant lesquelles les cris n’ont jamais cessé. La fermière est sortie pour nous dire au-revoir. S’excusant un peu, elle a raconté que le cochon avait du mal à mourir…
A cet instant, dominant d’une voie aiguë tout le vacarme qui envahissait nos têtes, le fils s’est mis interpeller sa mère. Complètement maculé de sang, le regard droit, il se tenait à l’entrée du hangar d’où sortaient les cris. Dans ses yeux, dans ses gestes, une sorte de jubilation se voyait. « Viens, viens vite non de Dieu, ce salaud de cochon s’est défendu, il est tombé des fers. Viens, viens vite non de Dieu nous aider à le reprendre. Il sautait des deux pieds, faisant de grands gestes pour encourager sa mère à se dépêcher.
L’agonie de la bête a dû durer encore. Nous sommes partis, comme on s’enfuit devant un danger grave. Peut-être, s’agissait-il ici d’un cas isolé. Pourtant, dans les environs, on nous a expliqué que la chose n’était pas « anormale ». Ici on aime encore tuer à l’ancienne, c’est à dire que l’on égorge les bêtes sans même les assommer d’abord. De cette manière, la viande est bien meilleure, nous a-t-on assuré…
Nina Brissot