Smaniotto

Smaniotto et le défi Michelangelo!

Du culot? De l’assurance? Une folie dans sa tête et au bout des doigts?

Comment expliquer cette idée déraisonnable qui a traversé l’esprit de Smaniotto et ne l’a plus lâché? Toujours est-il que, pour oser une œuvre magistrale de cette envergure, il faut avoir, dans un coin de sa tête, un sens de la vision, rarement commun chez les artistes. Avec son défi Michelangelo, il a réinterprété les nus masculins de la Chapelle Sixtine peints par Michel-Ange entre 1508 et 1512. Non pas comme l’artiste florentin, qui peignait à 20 mètres du sol pour une vision aérienne mais en leur donnant l’angle d’une vision verticale. Pour y parvenir, l’artiste a fait sienne certaines courbes et méthodes inspirées du grand Michel Ange. Puis s’en est distancié pour arriver, comme il aime à le dire: «à avoir un maître pour se passer du maître». En soutien, 50 ans de carrière dont cette œuvre monumentale est la clé de voûte. Comment s’y est-il pris? C’est toute une histoire!

L’étincelle s’est faite au Guggenheim à New York. Une rampe en spirale permet de vivre les œuvres comme nulle part ailleurs. Descendant cette rampe, Smaniotto qui domine plusieurs styles allant du surréalisme à l’abstrait et du dessin à l’huile en passant par la gouache et les techniques mixtes a été frappé d’une intuition. «je dois maintenant réaliser une œuvre tout à fait inédite et surprenante qui sera vue avec la même distance que depuis cette rampe». Et là, les choses se sont enchainées dans son esprit. Michel Ange s’est immédiatement et définitivement imposé à lui.

I Nudi

Les nus masculins de la Chapelle Sixtine, «I Nudi» n’ont au départ, pas grand-chose à voir avec la peinture. Michel Ange étant d’abord un sculpteur, il doit, sur mandat, transposer le 3D des statues, sur un plafond de 40m de long par 14m de large. Suspendu, sans appui dans l’espace, qu’on admire en levant la tête.

Or, en plein XVIe siècle l’artiste, libre d’esprit, bien que pressé par le Pape Jules II de réaliser cette fresque suspendue, n’entend pas se plier aux codes picturaux imposés par son époque. Encore moins par la religion catholique. Seul le point de vue artistique l’intéresse. Tenant compte de l’angle de vue de l’œuvre à réaliser, Michel Ange écarte une certaine esthétique des personnages au profit de leur positionnement dans la fresque. Ce qui provoquera une sorte de dichotomie entre la réalité d’un corps et sa reproduction dans l’espace, notamment à une distance de 20 mètres. Ces dissemblances seraient criantes dans une œuvre verticale. Smaniotto en est parfaitement conscient.

10 ans

Raison pour laquelle Smaniotto va employer 10 années d’études, de travail, de réflexion, près de 600 dessins comparatifs et une plongée profonde dans les archives liées à l’exécution de ce plafond. Dix années intenses au cours desquelles un carrousel, jour et nuit, tourne dans la tête de l’artisan créateur. Comment faire aussi bien mais autrement? Comment faire sans copier mais réinterpréter l’esthétique masculine? Un vertige l’habite et il se lance.

Mais, une embûche de taille va le retarder. Une maladie paralysante des membres le cloue sur un lit de douleur près de deux ans. Soutenu par Isabelle son épouse (voir Diego et Isa) il retrouvera ses forces. Car, comme toujours, l’artiste a laissé entrouverte la porte à la chance et elle vient lui rendre visite. Dès qu’il se sent apte à reprendre des activités, l’évidence le frappe de front. Il sait ce qu’il va faire! Il décide que cette œuvre se construira sur des panneaux de toiles, préalablement enduits de teintes neutres. Chaque panneau de 3,30m sur 2,20 est alors enduit et parsemé de taches qui seront la base du positionnement des corps. Bout à bout, ces panneaux atteignent 101 mètres de long, sans qu’un ordonnancement ne s’impose. Smaniotto devra attendre de les avoir tous peints pour décider du sens de l’exposition. Pour cela, il a loué une halle industrielle. La tâche est titanesque.

2.

Du plafond à la verticalité

Le plafond de la Chapelle Sixtine accroche son ciel à 20 mètres du sol. Par conséquent les détails ne sont pas perçus par l’œil humain comme dans une œuvre à bout de nez où les personnages semblent tangibles. Voilà donc ce plafond positionné verticalement avec ses 33 panneaux. Immenses, surprenants, presque inquiétants parfois. Des toiles enduites par l’artiste en support à ces nus masculins qui y sont posés, comme s‘ils trouvaient là leur place initiale. Des corps peints, lissés, brossés aux pinceaux, aux doigts, à la paume de la main comme on caresse une peau. Des nus masculins d’une beauté séculaire et jamais démentie.

La Lumière noire

Mais, Smaniotto a soudain envie que ses I Nudi puissent livrer une part de leur mystère même de nuit. Pour qu’une vision nocturne puisse se révéler à la lumière noire, Smaniotto applique des rehauts de couleurs fluorescentes. Des surlignements qui réagissent à la lumière noire et qu’il teste à la lampe de poche. (Voir (https://www.youtube.com/watch?v=xKb18oSE8rI&t=3s.) Puis, il installe au-dessus de chaque panneau, des néons noirs! Leurs reflets sur l’acrylique de couleur soulignant tel ou tel trait, donnent une autre perspective aux corps dévoilés. Un défi inimaginable Car Smaniotto prenait le risque de spolier toute une toile par une seule erreur dans ses traits acryliques. Le rendu est très surprenant. Inédit. Pour visualiser cette construction de l’œuvre en version courte, se rendre sur: https://www.youtube.com/watch?v=LQFcDOYOCug

Mais aussi pour découvrir les effets de la lumière noire sur l’œuvre, un livre numérique a été tiré de cette exposition, montrant similitudes et contrastes face à ces personnages vus de jour ou de nuit. Il est possible de le feuilleter numériquement en allant sur: https://www.calameo.com/read/0060472652d29ae8e2078

Nus vagabonds

Quel est l‘avenir de cette œuvre magistrale qui marque également l’apogée d’une carrière (Voir Smaniotto en Zig Zag) Les panneaux sont roulés, les néons éteints, le défi Michelangelo est au repos.

L’Artiste a un rêve précis. Celui de le faire vivre sur la place St. Pierre à Rome. Des négociations bien avancées sont en cours mais le Covid-19 freine tout. Entretemps, Smaniotto est ouvert à toute proposition pour installer cette exposition dans un lieu assez grand pour accueillir 101 mètres d’exposition et à la condition qu’il puisse se visiter également de nuit.

Smaniotto, vers la vie d’artiste

Qui est cet artiste au nom italien, à l’accent vaguement jurassien? A l’esprit vif et qui aime plaisanter? Qui est cet homme dont les œuvres ont, au cours des 50 dernières années, fait le tour des grandes galeries d’Europe? Ni ermite ni mondain, il est avant tout un artiste habité par le besoin de créer. Sans diktats, sans influences pécuniaires. Juste sur son ressenti profond issu sans doute d’une enfance solitaire et gênée dans tous les sens du terme. Il aime avant tout se retrouver face à ses toiles en cours, dans son perchoir des hauts de Villeneuve.

Un jour, je serai peintre

Un jeune garçon pense: un jour, je serai un homme!. Peut-être pompier, coureur automobile, vétérinaire ou prof. A l’aube de ses 8 ans Diego dit à sa mère: «un jour, je serai peintre». Il ne connait pas alors la valeur de l’expression. Mais, la certitude de cette destinée était gravée en lui. En visualisant son imaginaire, le grand timide complexé trouvait un moyen de s’exprimer. A défaut de se faire comprendre, il se rassurait lui-même.

3.

Myope

Pourtant, rien à priori, rien ne destine l’enfant qu’il est à devenir artiste. Ni le milieu familial, ni l’école à l’époque peu encline à s’intéresser à l’épanouissement des élèves. En famille, l’argent manque et il faut faire face à des difficultés. On est plutôt tourné vers la survie que vers l’art. Personne pour le guider et l’encourager: Mais personne non plus pour le freiner. La liberté est un maître mot chez les Smaniotto et les volontés de chacun sont respectées. L’enfant navigue seul sur sa frêle embarcation. Solitaire et rêveur, il bourlingue dans un monde onirique un crayon à la main. II se love dans un univers personnel inaccessible. Il a un imaginaire débridé. Mais, le petit Diego ne sait pas qu’il est victime d’un handicap important et pourtant non détecté. Il est très myope! «J’ai fait 6 ans de scolarité, sans voir le tableau noir» dit-il aujourd’hui! Or, si l’enfant était gravement myope, ni la famille ni l’école ne s’en aperçoivent. Dans les années 60 on ne prête pas trop attention à ces choses-là. La concentration était ailleurs. Ce qui laissait à l’enfant une belle plage pour l’imaginaire. Faute de bien voir, le nez sur son papier, l’enfant ébauche son ressenti à crayon portant. Tout est prétexte à un dessin et tout dessin devient parole. Diego vit avec sa myopie et pour lui tout est normal. Pourtant un jour, un instituteur un peu plus attentif décèle un mal-être chez l’enfant sans trop savoir quoi. Alors on l’envoie chez l’ophtalmologue qui décèle son handicap. Il deviendra un crapaud à lunettes auprès de ses camarades de classe. C’est donc dans un flou total que Diego dessinait. Les premières formes sont justes mais la suite souvent se dégrade sur la toile donnant des sortes de cassures, de dégoulinages, de flous, en fait des formes surréalistes qui conviennent particulièrement bien au monde onirique qui habite l’enfant! Le style Smaniotto est né, presque à l’insu de son plein gré. Ses dessins sont comme sa vie. Un peu déformés mais beaux. Parfois incompréhensibles mais évidents. Un mode d’expression qui lui est propre, qui le rassure, qui le pose. Il songe à un avenir. «Un jour je serai peintre!»

Les lunettes

Puis arrivent les lunettes. Diego découvre alors un monde qu’il ne connaît pas. Des lignes et des contours existants. La lumière à la place du flou. Des détails! Les autres, comme jamais avant. Pourtant, longtemps il restera dans le style de son monde intérieur, comme avant les lunettes. Ce qui est une excellente chose pour lui puisqu’à cette époque, le public a retrouvé un goût pour le surréalisme. Alors, il continue de déformer. A sa manière car, avec ou sans lunettes, il voit des choses que les autres ne voient pas. Dans une plume un visage de femme. Dans le ciel un bateau ivre qui tangue sans se coucher. Au bout d’un cep, là où chacun voit un simple branchage, il voit et dessine l’Empire State Building de New York. Il aime la mouvance, l’indéfini et puis les nus de femmes, leurs visages, qui bientôt feront une entrée remarquée dans son œuvre.

Les années approfondissements

A la fin de sa scolarité officielle, il ne sait pas trop que faire de ce talent et s’essaye à différents métiers par des stages. La décoration lui plaît bien, dessinateur sur machines aussi. Il tâtonne mais, sa chance viendra par un ami qui l’oriente vers l’école normale. Et là, sa vie prend un premier tournant difficile (voir Les Zig Zag de Smaniotto). Pour accéder à cette formation, il aurait dû suivre une filière qu’il n’a pas empruntée. Pour rattraper, le voilà, petit homme libre, jeté dans une sorte de prison qu’est l’internat. Il aura un an pour en rattraper 4. Il continuera ensuite pour entrer dans le graal de la formation. En tout, cinq années d’internat! A l’époque ces études en interne étaient payées par l’Etat. En contrepartie, une assiduité sans faille était exigée. En plus de la condition de s’engager pour 10 ans dans l’enseignement une fois son diplôme dans la poche. De ces cinq années d’internat, Smaniotto s’en souvient avec un brin de révolte. De sa grande liberté baba cool, il a dû faire le deuil. Il entrait dans un monde austère ou seules les études comptaient. Il dessinait oui, mais en cachette car chaque heure devait être consacrée aux études. Mis en «cellule» le jeune homme qui a déjà 16 ans, a rattrapé les études perdues. «Il fallait être au top raconte-t-il, lunettes, cheveux

4.

courts, blouse blanche»! A ce prix, il obtient son brevet et passe enseignant. Plus tard, il continuera pour devenir professeur de dessin et étudiera l’histoire de l’art.

C’est le temps ou Smaniotto est tout à fait conscient de son talent mais reste nappé d’une extrême timidité. Il fait fi pourtant des moqueries de ses camarades. Les enfants sont cruels et incrédules: «t’es un faux peintre, tu te prends pour qui criaient-ils en se moquant». Peu importe. Très vite il expose. Oh pas encore dans des galeries, mais dans des bistrots, des salles, des commerces. Il vend facilement car le public aime son monde hors du temps. Et puis, il a le sens des proportions et des couleurs. Son métier d’enseignant lui laisse assez de temps et de vacances. Il produit beaucoup. Passionnément. Petit à petit, son avenir d’artiste peintre se met en place. Cette fois, c’est sa vie qui se dessine.

Smaniotto en Zig Zag

En premier lieu, Smaniotto est un dessinateur. Le dessin est une prolongation naturelle de sa main, de son esprit. En quelques mouvements il esquisse une bouche une main, un visage, des escaliers, un paysage. Rien ne lui résiste. Il passera avec bonheur à la gouache puis à la peinture et même au trompe l’œil. Il enseigne encore mais, parallèlement, Diego Smaniotto est passe de devenir Smaniotto. Il aborde un premier virage lorsqu’un galeriste genevois lui propose d’exposer ses toiles. C’est sa première vitrine dans le monde des arts, et à Genève ou personne ne le connaît. Or surprise, il vend tout! Venu avec une camionnette rechercher ses œuvres, il s’entend dire: Il faut te mettre au boulot pour la prochaine exposition… Puis, il remporte le premier prix du concours Arc-en ciel qui contribue à sa gloire. Smaniotto est alors courtisé par les galeristes et devient le chouchou des médias. Il ne sait pas bien faire. Ce monde ne lui est pas familier. Il lui faudrait un mentor.

Le créateur qu’il est sent bien qu’il pourrait franchir un pas de l’enseignement à la liberté d’artiste. Son contrat avec la fonction publique n’est pas éternel. Malheureusement il est maladivement timide. La chance pourtant ne le lâche pas. L’artiste peintre reconnu Gottfried Tritten (1923-2015) va l’approcher et tenter de l’apprivoiser. Il sera le premier à lui faire découvrir le monde des arts de l’intérieur. Pourtant l’aventure tournera court car, lorsque son mentor enfin trouvé voudra l’entrainer dans une cellule un peu exclusive de peintres reconnus Smaniotto va se braquer. Trop marqué par son temps en internat, Diego fuira pour rester seul. Les années passent, le succès est là, l’euphorie aussi. Nous sommes dans les 30 glorieuses, l’argent coule, les galeries font florès. Smaniotto monte.

Rupture

Il a 35 ans lorsqu’il rencontre G.M. un self made business man qui le structure. C’est le mentor qu’il lui aurait fallu dix ans plus tôt. Mieux vaut tard que jamais. Smaniotto rompt avec son milieu. Fini les expositions à tous vents et en dilettante. Fini l’enseignement. G.M. lui signe un contrat de deux ans à plein temps. Smaniotto entre en peinture! «Tu vois maman, je suis devenu peintre»!

Deux années d’euphorie. Diego a un atelier à St Tropez, il peint décore, graffe, fait la fête. Gunther Sachs lui achète des toiles et lui réserve, pour sa maison de Pully une toile carte blanche, «celle que vous jugerez la plus intéressante de votre production», chaque année pendant 4 ans. Il se complait dans le surréalisme, ce qui le fait remarquer par la famille Brachot. Ce sera le prochain Zig Zag.

Encore un zig-zag

Son contrat de deux ans terminé l’artiste se retrouve face à lui-même et à son œuvre. Il découvre que contrairement aux termes du contrat, plutôt que de monter une collection, l’homme d’affaires avait tout revendu de son travail. Alors, une fois de plus. il casse la ligne et reprend son zig-zag. Soutenu par Isabelle son épouse, (voir Diego et Isa) il se donne à fond dans le surréalisme et les

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nus (voir Lui et Elles). Il est repéré par Isy Brachot, galeriste rue Guénégaud à Paris, descendant d’une prestigieuse famille de galeristes qui ont sous leurs ailes des personnalités comme Delmotte, Magritte. Dans leurs galeries à Paris, Bruxelles, Amsterdam ils présentent des peintres comme Dali ou Fernand Léger alors stars du pinceau. Isy Brachot le recommande à d’autres galeristes dont Jan de Maer qui l’expose à Bruxelles, Rotterdam, Knoke le Zoute. Une belle expérience qui lui permet de se faire connaitre en Europe. C’est à cette époque qu’il passe à la peinture à l’huile et qu’Isabelle devient son agent. C’est elle aussi qui le met en garde de ne pas s’enfermer dans une peinture répétitive. Aussi lorsqu’on demande au peintre de faire des séries du «voleur d’ombre», une toile très exclusive, il refuse tout net. Ce qui lui vaut son exclusion du milieu et une période d’errance artistique. Isabelle s’en souvient «Nous ne pouvons pas passer sous silence que nous avons été étouffés par l’indifférence, voire le mépris . Mais nous savions, au fond de nos cœurs , que l’art relie la matière et l’esprit. La peinture finit toujours par gagner». Et c’est ce qui est arrivé.

Lui et elles

Des questions se bousculent dans sa tête. Fallait-il vraiment passer à l’huile? Répéter des œuvres? Rentrer dans un rang? Il a besoin de changement. Une distraction vient par un ancien camarade de classe, Claudio C. qui le contacte pour qu’il fasse le portrait de son épouse, belle comme beaucoup de femmes nées en Lituanie. Les relations de la dame aidant, le voilà invité à Vilnius par le gouvernement lituanien pour une exposition retentissante.

Le nu est en forte demande et, bien avant de peindre les nus masculins de Michel Ange, Smaniotto a traversé une période peuplée de corps féminins. Du plus réel au plus abstrait mais d’une présence inouïe. Une foule de femmes. Un visage, un sourire, un corps, un regard. Présente, distante, mystérieuse, merveilleuse. Active, lascive, tentante ou évanescente, Leda ou sorcière… LA femme, une et multiple, est dès ce moment-là, partout dans son œuvre. Jusqu’à l’obsession. Une et multiple, belle et immatérielle, elle est là, le plus souvent dans le plus simple appareil, érotique ou madone. Tantôt dans toute sa splendeur, d’autre fois liée à un magma se confondant à la nature. Présente ou inabordable. Une obsession? Un rêve inaccessible? Une présence rassurante? Une réalité? Qu’en dit l’artiste?

«Le nu est pour moi un véritable vecteur de la mentalité des différentes époques de l’histoire. Il est plénitude, émoi érotique, il s’offre sans réserve au plaisir de la contemplation. Il est un des territoires essentiels de l’art, il pose la question: qu’est-ce que le beau en soi?. Dans son essence, il opère la fusion du sensible et de l’intelligible. Le corps humain est en étroite correspondance avec l’harmonie du monde. Avec le nu, le sensible atteint sa limite. Ma perception ne peut pas aller plus loin. Tout est là….

Lorsque nous admirons la figure de la beauté idéale dans une œuvre d’art, nous contemplons en réalité une reconstitution sublimée par le regard de l’artiste. Avec lui, il faut se réinventer sans cesse. Je m’éloigne de plus en plus de sa représentation stéréotypée; il devient mouvement jubilatoire, il a un pouvoir d’émotion, incomparable. J’essaie de réinventer le réel sans m’y soumettre.

J’ai peint beaucoup de nus sans visage car ils nous permettent de nous projeter dans leur intimité, mais le mystère demeure quant à leur identité, le tableau ou le dessin devient un cadre symbolique d’échange d’émotion. L’art donne accès à des parts de soi qu’on ne connaît pas. Peindre un nu est un exercice fascinant, il se dévoile dans sa conception originelle avec ses lignes, ses courbes et ses formes. Il devient rencontre entre le micro et le macrocosme». Tout est dit sur le nu par Smaniotto qui, après cela, une fois encore va zigzaguer dans l’art.

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Le trompe l’oeil

Ssmaniotto a acquis une véritable virtuosité dans différentes techniques. Il peut en quelques sortes tout faire, même ce qu’il ne connaît pas. Aussi, lorsque le destin vient une nouvelle fois frapper à sa porte, il est à peine surpris. Alors qu’il n’a jamais touché au trompe l’œil, il se laisse séduire par la proposition d’un architecte de décorer des maisons, des palaces, des immeubles en trompe l’œil. Le voilà illusionniste. Encore un côté atypique de la carrière de cet homme qui lui fait dire: «Dans le fond, je n’ai jamais provoqué les événements. Ce sont eux qui, toujours sont venus à moi». Des événements qui, juxtaposés à l’imagination délirante de Smaniotto lui auront apporté une extraordinaire maîtrise du surréalisme, de l’illusion des métamorphoses, et de l’hyper réalité comme du chaos. Voilà pour le peintre. Quant à l’homme, il s’est forgé sa philosophie. Car il faut bien admettre que tout n’aura pas toujours été facile. Surtout après s’être mis à l’écart du circuit du monde des galeristes. Mais Smaniotto peint au plus près de sa sensibilité d’humain. Et c’est bien connu, l’humanité ne se démode jamais. Et Smaniotto a toujours su rebondir par un talent démultiplié pour arriver à cette œuvre monumentale qu’est le défi Michel Ange.

Smaniotto philosophe

Cinquante années de carrière et l’appui des siens (voir Diego et Isa) ont rendu Smaniotto poète et philosophe. De son écriture de prof bien lisible, il a rempli des carnets entiers de pensées, maximes et surtout de réflexions. Notamment en relation avec une œuvre immense qui, rappelons-le va du tangible au surréaliste, glisse vers l’abstrait magmatique puis passe du lumineux au chaotique et de la création à l’infini. Entre ses carnets, notes volantes, œuvres en cours et inachevées… entre le fourmillement des idées dans sa tête, Smaniotto aime une forme de solitude habillée de musique. Dans le calme de son perchoir de Villeneuve, ses travaux en cours passent d’un monde à l’autre, un peu, comme au cinéma, on traverse le miroir. Il a alors tout loisir pour laisser vagabonder son esprit sur sa trajectoire et les étapes d’une vie dans laquelle l’art a toujours été à la fois son seul et unique but, sa déesse, sa maîtresse, en tous les cas impératrice! Smaniotto aime emprunter à Nietzche cette expression tirée de son œuvre inachevée «La volonté de puissance» et qui dit: «L’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité». Et pour Smaniotto, la vérité est glissée dans chaque interstice de son œuvre.

Ainsi arrive Michel Ange

Bouclons ce tour d’horizon d’un artiste inclassable et hors normes en revenant sur sa plus récente création, son défi Michel Ange. Smaniotto ajoute un volet philosophique à cette œuvre monumentale.

«Avec le séisme Corona, le monde a été confronté à une crise jamais vue auparavant. Une prise de conscience mondiale des conséquences immédiates et indélébiles de leur déconnexion avec la nature et entre les uns et les autres. Cette œuvre veut aussi incarner une pertinence de changement qui peut nous amener à un nouveau niveau de conscience en tant que communauté mondiale. Ce qui demande humilité et courage. Il est de la responsabilité de chacun d’agir maintenant, d’être le catalyseur même du changement dont le monde a besoin! Le défi Michel Ange se veut aussi la représentation de ce moment unique de notre histoire. Les grandes œuvres ont ce pouvoir extraordinaire lorsqu’elles font écho à la beauté et à l’amour. L’Amour est figé dans le temps et les œuvres, entre autres, le restitue en le mettant en mouvement.

Le défi Michel Ange ouvre les yeux sur des valeurs patrimoniales: l’essence des choses confère à nos regards le merveilleux: quelque chose de simple, de vrai . C’est donc par et dans ce message fort que cette fresque de 101 mètres trouve sa légitimité.

7.

Malgré les deux mille ans qui nous séparent de L’Amour originel, l’art est un pont qui relie les mondes, les époques et apporte à chaque moment de l’histoire un nouvel éclairage. Ce travail décline tous les sentiments humains sur 101 mètres. La peur, la surprise, l’émerveillement , le questionnement, la sérénité. Elle représente la continuité de soi -même dans la mémoire des hommes.

Élever les âmes vers le merveilleux est une chance que cette création souhaite saisir en la montrant lors de différents événements et expositions. Les rêves sont faits parfois pour être réalisés. L’accomplissement d’un rêve est à la fois l’inconnu et la fidélité à un serment : créer encore et toujours. A 70 ans et 50 ans de vie à peindre cette fresque est pour moi la clé de voûte de mon œuvre.

Diego et Isa

«Nous nous sommes rencontrés un jour d’assomption, nous ne pouvions donc que prendre de la hauteur». C’est avec humour qu’Isabelle Smaniotto évoque sa rencontre avec Diego alors qu’ils étaient encore presque des gamins. Diego, toujours en internat, en était au début de ses expositions. Isa est devenue la mère de ses enfants et aujourd’hui son agent, elle en parle très librement.

«Je partage depuis 50 ans ma vie avec un être libre, indépendant d’esprit, passionnant et d’une créativité sans limite. Son esprit caustique ne cesse de me ravir et je guette son œil malicieux qui s’allume à la première occasion. Je ne m’en lasse pas. Et son regard sur moi…. il capte , me capte et va directement à l’essentiel. Bien évidemment, le tableau ne serait pas complet sans parler de sa tendresse incommensurable envers nous tous, nos deux enfants et cinq petits-enfants qu’il chérit par-dessus tout.

Le doute aussi

Diego n’est pas qu’artiste. Il est un vrai romantique qui, par moment, nage dans un spleen qui pourrait devenir abyssal mais dont il sait toujours s’extraire. Il lui arrive de penser parfois que c’est fini, que le ressort est cassé, qu’il n’a plus envie de dessiner. Je respire, je garde mon calme et lui propose de faire autre chose, du vélo, de la lecture sans donner aucune force à son insurrection passagère, à ses passages douloureux, à ses doutes qui, eux sont permanents. Je les connais mais, j’avoue toujours ressentir un petit vent de panique m’envahir. Nous sommes comme les vieux amants de Brel «moi je sais tous tes sortilèges, tu sais tous mes envoûtements»… En général, après quelques jours d’errance, tout animé d’énergie, il recommence à laisser couler son imaginaire sans fin. Et par-dessus tout à créer de la beauté. (Voir l’école de l’Appolinisme). Il est doté d’une force extrêmement fragile. Bien sûr, il a aussi quelques défauts… Loin d’une idéalisation de son être , je connais aussi ses susceptibilités. Mais elles peuvent même être envoûtantes . En effet, sa vigueur à ne pas être mis dans un moule s’exprime dans ces moments-là. J’adore… Il peut aussi être parfois d’une immense mauvaise foi, comme moi d’ailleurs. Nous ne favorisons pas ces aspects fort peu intéressants de nos personnalités. Nous cultivons l’amour, le plaisir de partager nos affinités, nos perceptions et nos différences. Nous nous aimons le temps d’une vie: une étincelle. Diego est un être à part et son œuvre est, et Dieu merci, restera en décalage. Hors champ , inaccessible pour les courants actuels. Diego est la marge. Sa création perpétuelle ne permet aucun répit et l’installe dans le mouvement de la vie qui se donne. Ce qui aujourd’hui peut apparaître comme une faiblesse sera sa force de demain : Smaniotto est unique et restera, peut-être, une figure essentielle. Pour ses proches en tous les cas.

8.

La famille

J’aimerais aussi souligner les soutiens indéfectibles de nos enfants et maintenant de leurs conjoints. Ils ont été et sont encore parfois anxieux pour nous. Ils ont vécu dans leurs chairs les aléas d’une vie d’artiste. Jamais un reproche de leur part . Ils sont à l’écoute, toujours un peu intrigués par cet homme qui, malgré une grande ouverture, reste insaisissable. Ils adorent véritablement l’homme, leur père chéri et son œuvre. Diego et moi ne pouvons que remercier nos «quatre» enfants de leur amour si généreux. Ils nous permettent de continuer à croire, même seuls dans des moments de doutes».

Quelques repères

Adresse

Diego Smaniotto

Crêt di Baux 1

1844 Villeneuve

+41 21 965 62 10 +41 78 722 17 53

i.smaniotto@bluewin.ch

Vidéos

https://www.smaniotto.ch/fr/videos/

Quelques expositions majeures

1979                    Galerie Bernard Letu

1980-82-85         Galerie Florimont, Lausanne

1981-83               Galerie Atelier Cora, Hermance

1982                     Galerie Christoffers, Zürich & Galerie l’Escapade Pierre Huber, Cartigny GE

1983                     Invité d’honneur, Salons des Nations, Paris

1984                     Musée de Demdis. Belgique & Casino Knokke le Zut, Belgique

1985                     Galerie Jan de Maer, Bruxelles; Galerie Aelbricht, Rotterdam & Galerie Cluny, Genève

1988                     Galerie Francis, Gstaad

1989                     Galerie Schllossgasse 89, Zürich & Rétrospective 20 ans de peinture,

Maison Communale, Evilard

1991                     Galerie Herouet, Paris

1993                     Lion’s Club, St-Tropez

1995-96               Terre des Arts, Paris & Galerie Transit, Rome

1997                     Galerie Fabrica, Brescia, Firenze

1998                     Galerie La Tour, Martigny

1999                     Galerie Cours St-Pierre, Genève & Galerie Zeller, Berne & Galerie Varta, Vilnius,

2000                     Galerie Rytz, Nyon

2002                     Galerie Kasper, Morges &

Fondation Baula, Bienne

2004                     Galerie du Tir, Genève

2008                     Galerie Adler, Hong Kong

2009                     Galerie Adler, Gstaad

2001-2011          Art du Trompe-l’œil

9.

DISTINCTIONS

1er Prix du concours Arc-en-ciel, Lausanne 1978

Médaille d’argent du concours international, Montreux 1986

Participation au Grand prix international « art contemporain » Monaco 1986

Prix d’excellence, New York, 1989

Cofondateur avec son épouse de l’Ecole de l’Apollonisme 2000

Texte:

Nina Brissot, journaliste RP

Avec la complicité de l’épouse de Smaniotto, Isabelle de Berne

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